I.1 L’Article 27, pour rendre la culture accessible à tous
Une expérience menée en Communauté française de Belgique
« Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent ». L’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme a fait de l’accès à la culture un droit fondamental.
Conçu comme une réponse aux ordonnances imposées par Goebbels en 1938 qui interdisaient aux Juifs « de prendre part aux manifestations de la culture allemande » et organisaient la confiscation des œuvres d’art “ dégénéré ”, ce droit considère la culture comme un élément essentiel de la citoyenneté.
Au fil des ans, le droit de participer à la vie culturelle a pris en compte non seulement les discriminations, mais aussi l’exclusion sociale. La pauvreté et le décrochage social sont, en effet, des barrières à la culture et cette exclusion culturelle, à son tour, aggrave les situations de marginalisation et de misère.
Les communes, comme le souligne une étude québecoise, « sont les fournisseurs de première ligne en matière d’accès à la culture »[1], notamment au travers des bibliothèques, des centres culturels et des festivals. Elles assument dès lors une responsabilité particulière : intégrer dans leurs politiques culturelles des initiatives visant à favoriser la participation effective de tous les citoyens, et en particulier des plus démunis d’entre eux.
En Belgique, des réductions de prix à l’entrée des spectacles, expositions et musées sont depuis longtemps en vigueur pour les chômeurs, les étudiants et les séniors, mais certaines associations et institutions ont cherché à mettre en place des systèmes plus spécifiques qui tiennent mieux compte non seulement des niveaux effectifs de revenus, mais aussi des obstacles sociaux et psychologiques qui entravent la participation culturelle des personnes marginalisées ou en situation d’exclusion.
Dans cet esprit, l’ASBL Article 27, créée en 1999 en Communauté française de Belgique, à l’initiative de la comédienne Isabelle Paternotte et de Roland Mahauden, défunt directeur du Théâtre de Poche, s’est donné pour mission « de sensibiliser et de faciliter l’accès à toute forme de culture pour toute personne vivant une situation sociale et/ou économique difficile »[2]
« La culture est restauratrice du lien social, note l’association, elle favorise l’autonomisation et l’inscription dans l’action, elle est émancipatoire et encourage l’acquisition d’une parole citoyenne, elle amène chacun à découvrir son potentiel créateur et à développer sa confiance en soi. Si la culture est vécue au minimum comme un divertissement, elle permet de découvrir différentes manières de comprendre, de vivre et d’interpréter le monde ».
L’association s’est surtout fait connaître par la création du ticket Article 27 au bénéfice des personnes en difficultés. Celles-ci ne doivent payer que 1,25 € comme droit d’accès aux manifestations culturelles. À l’aide de subventions publiques et d’apports de sponsors privés, l’ASBL compense la différence de prix de chacun des tickets, avec un plafond fixé à 5 €. En 11 ans, près de 600 000 tickets ont été distribués, un chiffre qui donne une idée de l’ampleur et du succès de cette expérience.
Article 27 s’est assuré l’appui de 840 partenaires sociaux publics ou associatifs, comme des CPAS ou des associations de lutte contre l’exclusion, auxquels elle demande non seulement de distribuer des tickets, mais aussi d’informer les personnes en difficultés socio-économiques au sujet de l’offre culturelle.
Elle a également conclu des accords avec 770 institutions culturelles publiques et privées, qui s’engagent à accorder un tarif préférentiel aux personnes défavorisées. Au niveau communal, elle travaille, en particulier, avec les centres culturels, les mai- sons des jeunes, les syndicats d’initiative et de tourisme, les musées et sites, mais aussi avec le secteur associatif impliqué dans des activités culturelles.
Outre son ticket Article 27, l’association, offre également une série de services et d’outils pédagogiques comme des ateliers de discussion et de création, l’initiation aux arts contemporains et des sorties collectives, afin de favoriser « la mise en valeur de chacun en ce qu’il est porteur d’histoires et de cultures ».
Article 27 est présente sur l’ensemble du territoire de la Communauté française Wallonie-Bruxelles par le biais de 16 cellules organisées en une régionale bruxelloise et une régionale wallonne de coordination. Chacune de ces cellules a notamment pour mission « d’assurer l’implantation d’Article 27 sur son territoire en respectant les principes fondateurs de l’ASBL : rendre l’offre culturelle accessible, ouvrir l’espace à la réflexion critique et éventuellement, faciliter la participation artistique. Outre l’ensemble des partenariats qu’elle tisse avec les différents acteurs culturels (institutionnels ou artistiques), elle établit des partenariats avec les associations et institutions sociales de sa région qui travaillent avec le public ciblé par l’ASBL ».
L’expérience d’Article 27 est reconnue comme un succès et comme un exemple de “ bonne pratique ”, non seulement par les pouvoirs subsidiants, mais aussi au niveau européen. Elle s’intègre en particulier dans les programmes qui font de la culture un moyen de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
Toutefois, l’association reste fragile. Comme le notait l’ASBL dans une Lettre ouverte pour le droit à l’offre et à la participation culturelles, publiée en novembre 2010 : « La culture a un rôle de développement non à court terme, mais à moyen et à long terme, C’est sa force et sa fragilité. Sa force parce que c’est en elle que se situent des éléments d’épanouissement individuel. Sa fragilité parce qu’elle ne peut pas attester de résultats aussi rapides, aussi nets que peuvent en attester des actions sur des droits plus facilement satisfaits par une offre matérielle ».
Aujourd’hui, Article 27 est, d’une certaine manière, dépassée par son succès. En raison de la modicité de ses ressources, elle doit, comme elle l’exprime sans détours, « trier ses pauvres », c’est-à-dire limiter son action aux personnes en lien avec des associations conventionnées et se résigner à ne pas impliquer l’ensemble des personnes vivant avec des moyens financiers réduits.
« De la même manière que le secteur de l’alphabétisation remplit pour le compte de l’Etat ses missions en termes d’éducation des adultes, constatait Article 27 dans son appel de novembre 2010, de même effectuons-nous une mission que l’Etat devrait avoir l’obligation morale soit d’assumer directement, soit de déléguer en attribuant les moyens corrects à cette fin ».
Article 27 a défendu, dès sa création, un choix de société. Faire de l’accès à la culture pour tous « ce pain qui nourrit l’être humain dans ce qui est invisible en lui et le fait grandir dans une société où il s’intègre par ce qui le fait devenir plus homme parmi les hommes »
Faire de l’art le levain de la dignité humaine et le levier de la démocratie, tel est l’enjeu de cette initiative, inscrite au cœur de la vie culturelle des communes. Notes
Actualisation
Depuis sa création, c’est environ 800 000 tickets qui ont été utilisés par des publics fréquentant plus de 800 associations sociales (CPAS, maisons d’accueil, centre d’alphabétisation...) auprès de 835 opérateurs culturels (dans le domaine du théâtre, du cinéma, de la musique, des arts plastiques...) de la Fédération Wallonie-Bruxelles, peut-on lire en novembre 2017 sur le site de l’ASBL.
Source & pour en savoir plus
Le site de l’association Article 27, avec la présentation du projet.