F.1 Comment rendre ma commune plus accueillante pour les aînés
« Pour sortir de la favela, il y a un grand escalier en béton, très raide, avec des marches très hautes. Pour moi qui me déplace difficilement, c’est un obstacle quasi impossible à franchir. C’est pourquoi, je ne quitte plus jamais le quartier », soupire Domingo, 72 ans, de Rio de Janeiro (Brésil).
« Depuis mon 80ème anniversaire, je ne conduis plus et le bus qui passe près de mon domicile s’arrête de circuler à 19 heures, explique Viviane, de Genappe, en Belgique. Impossible désormais d’aller souper chez des amis ! Il m’arrive souvent de rester seule le soir chez moi, avec la télévision pour me tenir compagnie. »
« Depuis la mort de ma femme, on vient m’apporter un repas chaud à domicile tous les jours, explique Léon, qui habite un village du Brabant wallon. Mais le CPAS parle de faire des économies : l’aide familiale ne passerait plus que deux fois par semaine. Je recevrais des plats préparés, emballés sous vide, à réchauffer moi-même les autres jours. Mais je n’ai pas de four à micro-onde et je suis trop vieux pour cuisiner. Vous savez, j’ai presque 87 ans ! S’ils appliquent cette réforme, je serai obligé de me placer! »
Historique
C’est lors du XVIIIème congrès de gérontologie et de gériatrie, organisé à Rio de Janeiro en 2005, qu’a été conçu le projet “villes-amies des aînés”. Pour faciliter sa mise en œuvre, Louise Plouffe et Alexandre Kalache, respectivement conseillère technique et directeur du programme Vieillissement et qualité de vie de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ont supervisé une recherche participative dans 33 cités du monde entier. Ils ont ensuite rédigé le Guide mondial des villes-amies des aînés : une véritable mine d’or, qui contient des centaines d’exemples de bonnes pratiques. Présentation.
Prendre en compte le vieillissement de la population
Le nombre de citoyens âgés de plus de 60 ans est en constante augmentation. Ils représentaient 11% de la population mondiale en 2006, ils seront 22% en 2050 – presque un habitant sur quatre. « Pour la première fois dans l’histoire, les personnes âgées seront plus nombreuses que les enfants (0-14 ans). Les pays en développement vieillissent beaucoup plus vite que les pays développés : dans cinq décennies, un peu plus de 80% des personnes âgées vivront dans les pays en développement, contre 60% en 2005 ». [1] Si aujourd’hui, en Belgique, une personne sur cinq est retraitée, en 2030, cette proportion passera à une personne sur trois, souligne Anne Jaumotte, sociologue.[2] Il est dès lors capital de mieux valoriser le potentiel que représentent les personnes âgées pour l’humanité.
Qu’est-ce qu’une ville amie des aînés ?
« Une ville-amie des aînés encourage le vieillissement actif en optimisant la santé, la participation et la sécurité des citoyens âgés pour améliorer leur qualité de vie, expliquent les auteurs du Guide. Concrètement, une ville-amie des aînés adapte ses structures et services afin que les personnes âgées aux capacités et aux besoins divers puissent y accéder et y avoir leur place. »
L’objectif du Guide est d’aider les villes à diagnostiquer comment elles pourraient devenir plus accueillantes pour les aînés. Les auteurs ont travaillé autour de 8 thématiques (voir graphique en fleur, ci-contre) et pour chacune d’entre elles, ils présentent un large éventail d’initiatives déjà appliquées dans certaines villes. De quoi donner des idées aux élus et citoyens d’autres villes désireux de transformer à leur tour leur cité en “ ville-amie des aînés ”.
I) Espaces extérieurs et bâtiments
Si l’on veut que les personnes âgées puissent continuer le plus longtemps possible à vivre de manière autonome, il est important qu’elles puissent se déplacer pour faire leurs courses, leurs démarches administratives, et pour participer pleinement à la vie de la cité. Il est dès lors important d’aménager les espaces extérieurs et les bâtiments communaux en conséquence. Comment rendre les rues et édifices publics plus accueillants pour les aînés ?
1) Les trottoirs sont bien entretenus, leur surface est régulière, plane, antidérapante. Ils sont assez larges et équipés de bordures en biseau afin d’en faciliter l’accès aux fauteuils roulants. Les autorités veillent à ce qu’ils soient dégagés de tout obstacle ou encombrement inutile. À Moscou, par exemple, les personnes âgées se plaignent des voitures garées sur les trottoirs. Elles sont obligées d’en descendre et de marcher sur la chaussée, ce qui les insécurise. À Sherbrooke (Québec), ce sont les trottoirs enneigés qui sont dénoncés. Et dans de très nombreuses villes à travers le monde, les excréments de chiens sont perçus comme nuisance et réelle source de danger pour les aînés ;
2) Les feux de signalisation sont réglés de manière à offrir un temps de passage suffisamment long pour les piétons âgés ;
3) Des campagnes de sensibilisation des automobilistes sont mises sur pied pour les inciter à céder le passage aux piétons et à respecter les feux rouges. Lorsque la prévention n’est pas suffisante, des caméras de surveillance sont disposées ;
4) Des sièges et bancs suffisamment nombreux et à intervalles réguliers sont installés dans l’espace public, en particulier aux arrêts des transports en commun, dans les parcs et sur les places. Il en va de même pour les toilettes publiques ;
5) Les pistes cyclables sont bien séparées du trottoir réservé aux piétons ;
6) Des mesures sont prises pour renforcer la sécurité. De nombreuses personnes âgées redoutent en effet de sortir le soir, car elles éprouvent un sentiment d’insécurité. L’installation d’un éclairage public plus performant, de caméras de sécurité et la présence accrue de policiers sont de nature à les rassurer. Les initiatives citoyennes en faveur d’une meilleure sécurité dans les quartiers sont soutenues, mais en prenant garde aux éventuelles dérives ;
7) Dans les centres commerciaux et les grands magasins, des caisses sont réservées aux aînés et dotées de sièges à proximité. Des fauteuils roulants sont mis à la disposition des clients âgés ;
8) L’accessibilité des bâtiments publics est améliorée : rampes d’accès pour les fauteuils roulants, ascenseurs, escaliers ni trop hauts ni trop raides, portails et couloirs larges, sols antidérapants, signalisation adéquate, sièges confortables, toilettes en nombre suffisant et adaptées aux handicapés, etc.
9) Plus globalement, les architectes et urbanistes pensent aux usagers âgés, aux handicapés et aux femmes avec landau lorsqu’ils conçoivent l’aménagement des villes. Ils proscrivent les longues volées d’escaliers en bétons ou les escalators et leur préfèrent (ou leur adjoignent) des rampes d’accès larges et à pente douce.
II) Transports
Sans possibilités de se déplacer, à pied ou en transports en commun, pas de participation à la vie sociale.
1) Le coût des transports en commun doit dès lors être abordable. Dans certaines villes, il est gratuit pour les aînés ou pour la personne qui accompagne une personne âgée (comme à Genève) ;
2) Tous les quartiers sont desservis par des bus suffisamment fréquents ;
3) Des sièges sont réservés aux personnes âgées dans les transports en commun ;
4) Les bus sont adaptés (planchers mobiles réglables, hauteur des marches diminuées) pour faciliter la montée et la descente des aînés ;
5) Dans de nombreuses villes, les personnes âgées se plaignent de la conduite “ sportive ”, voire kamikaze des chauffeurs de bus. Certaines dénoncent également leur démarrage trop rapide : « J’arrive encore à monter dans le bus, bien que la marche soit fort haute, mais les conducteurs démarrent généralement trop vite, avant que je puisse m’asseoir. Alors, je perds l’équilibre et me retrouve par terre », explique un aîné de Saanich (Canada).
Des sessions de sensibilisation des conducteurs de bus aux spécificités et besoins des personnes âgées, mais aussi au respect qui leur est dû, sont organisées dans plusieurs villes. À Sherbrooke, un programme de formation des conducteurs a été salué par les aînés.
6) À Tokyo, les aînés souhaitent que les horaires soient imprimés en caractères plus gros et affichés de manière plus visible ;
7) Les arrêts de bus sont dotés d’abris équipés de bancs. À Melville (Australie), un programme de décoration des arrêts de bus par les enfants aurait contribué à diminuer le vandalisme ;
8) Les gares sont accessibles : des places de parking en nombre suffisant et proches sont réservées aux personnes âgées handicapées. Des rampes d’accès permettent aux personnes âgées à mobilité réduite d’accéder aux quais.
9) Dans certaines villes comme Dundalk (Irlande), des tarifs réduits pour les seniors sont appliqués dans les taxis. Ce mode de transport bénéficie généralement d’une bonne appréciation des aînés, parce qu’ils peuvent la plupart du temps compter sur l’aide bienveillante du chauffeur pour monter dans le véhicule.
10) Au volant, les personnes les plus âgées se sentent souvent stressées, notamment en raison de la conduite agressive de certains automobilistes. « Je n’aime pas conduire. On se fait insulter. Les gens vous font des signes si vous n’allez pas assez vite. Ils sont grossiers », explique un aîné.
Des cours de remise à niveau en matière de conduite automobile sont dispensés aux aînés dans certaines villes et une sensibilisation des automobilistes à l’importance et au bonheur de la courtoisie pourrait l’être également.
III) L’habitat
1) L’offre de logements sociaux et autres logements financièrement accessibles est suffisante ;
2) Les habitations sont conçues ou transformées pour répondre aux besoins des personnes âgées.
À Hingi ou Dundalk, une aide financière peut être obtenue pour modifier son logement, ce qui permet à des personnes âgées de rester plus longtemps dans leur maison, sans devoir se placer dans un home ;
À Melbourne (Australie), des mesures incitatives sont proposées pour encourager les architectes et les promoteurs immobiliers à construire des logements adaptés aux personnes âgées. Parmi les modifications préconisées, on note l’abais- sement du niveau des interrupteurs, le placement de douches plutôt que de baignoires, des escaliers munis de sièges spéciaux “ monte escalier ”, etc. ;
3) Les personnes âgées se sentent en sécurité à domicile et ne craignent pas d’habiter seules. Un résultat obtenu grâce à la vigilance et à la bienveillance des voisins, à l’installation d’alarmes et de dispositifs d’alerte en cas de malaise ou d’agression, à l’existence de patrouilles de sécurité locales et à l’organisation de rondes gratuites ;
4) Des services à domicile d’un coût abordable (aides ménagères, repas livrés à domicile, etc.) sont fournis pour permettre aux personnes âgées de continuer à vivre plus longtemps chez elles ;
5) Les habitations et résidences pour personnes âgées sont intégrées dans le tissu social environnant, afin de permettre aux aînés de conserver leurs relations sociales et familiales.
Bien d’autres mesures encore figurent dans ce rapport, qui présente cinq autres thèmes : la participation à la vie sociale ; le respect et l’inclusion sociale ; la participation citoyenne et l’emploi ; la communication et l’information ; le soutien communautaire et les services de santé.
Source & pour en savoir plus
Guide mondial des villes-amies des aînés, Organisation mondiale de la santé, 2007.
À consulter également, les fiches Amnesty : Le Conseil consultatif des aînés de Namur
Références
- ↑ Population issues : meeting development goals. Fast facts 2005. New York, United Nations Population Fund, 2007. Cité en page 3 du Guide mondial des villes-amies des aînés.
- ↑ Envie de vie ! Produire de la qualité de vie en maison de repos... ça ne s’improvise pas, ouvrage collectif édité par l’UCP, mouvement social des aînés, 2010.