L.4 La politique internationale des communes. Comment contribuer à changer le monde ?

De Les droits humains au coeur de la cité
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La "glocalisation"

Les communes sont par excellence l’instance de la proximité, mais elle n’ont pas droit à un esprit de clocher. La globalisation du monde a profondément bouleversé leur ligne d’horizon. Leur quotidien se “ glocalise ”, les dimensions globales et locales s’entremêlent.

Des conflits armés du bout du monde amènent des candidats réfugiés aux portes de leurs centres d’aide sociale, des troubles politiques interrompent des échanges commerciaux ou culturels, des délocalisations d’entreprises provoquent des chocs économiques et sociaux.

Les communes sont, de plus en plus, des acteurs de la scène internationale. La “ diplomatie des villes ” n’est pas seulement conçue comme une activité extérieure, déconnectée des réalités locales. Elle est envisagée comme une extension de l’intérêt que les villes portent à des enjeux mondiaux qui les touchent localement, que ce soit au travers de l’immigration, des questions environnementales, des trafics de drogue ou d’êtres humains, des bouleversements économiques ou des relations, en leur sein, entre des communautés de culture, d’origine ethnique ou de religion différentes.

De nombreuses communes s’engagent “ ici et là-bas ” pour répondre à ces défis. Elles promeuvent des actions de développement dans des pays du Sud, instaurent des politiques locales de lutte contre le réchauffement climatique, accueillent des écrivains exilés, adhèrent à des coalitions internationales, voire même participent à des expériences de médiation et de prévention des conflits.

Le plus souvent, ces actions renforcent les droits humains, car elles visent à créer des solidarités internationales et à contribuer au niveau local à la solution de problèmes globaux. Elles promeuvent également le processus démocratique : « Comme les gouvernements nationaux apparaissent plus éloignés et indifférents, écrit Richard Bilder, c’est seulement par le biais des autorités locales et régionales, plus accessibles, que des citoyens ordinaires peuvent faire entendre leur voix ». [1]

Parfois, cependant, des initiatives municipales peuvent affaiblir les droits humains, si elles cautionnent des dictatures en accueillant trop chaleureusement leurs dirigeants, en relayant leur propagande culturelle dans les musées ou en organisant un jumelage avec des villes dirigées par des représentants d’un pouvoir autoritaire.

Sur le terrain de la politique internationale, naguère réservé en exclusivité aux ministères des Affaires étrangères, quelle est la marge de manœuvre des communes ? Dans la plupart des pays, celles-ci ont réussi à s’assurer un espace d’intervention, par le biais notamment de partenariats inter-municipaux, de la coopération au développement décentralisée et de la participation à des réseaux internationaux pour la paix, les droits de l’homme ou la lutte contre le racisme.

Ces initiatives locales dérangent rarement les ministères des Affaires étrangères, des Affaires européennes et de la Coopération au développement ou les institutions liées aux régions et communautés. Au contraire. Elles contribuent le plus souvent à renforcer l’efficacité de l’État central ou des entités fédérées ainsi que leur « puissance douce », c’est-à-dire leur capacité à projeter une image positive au-delà des frontières.

Cependant, les incursions des communes sur le terrain international peuvent parfois aller à contre-courant des choix du gouvernement central. Que faire lorsqu’un État appuie des régimes dictatoriaux ou cautionne des politiques économiques ou de développement controversées ? Une municipalité peut-elle s’en dissocier et mener sa propre politique étrangère, afin d’amortir et de corriger l’impact de ces choix nationaux ?

L’exemple américain

L’histoire américaine illustre de manière emblématique cette intrusion des villes dans la politique extérieure, à contresens des décisions de la Maison Blanche. Les pouvoirs locaux ont, en effet, régulièrement contesté la diplomatie officielle et pris des initiatives indépendantes pour marquer leur différence et infléchir les choix du pouvoir central. Ainsi, lors de la guerre du Vietnam (1961-1975), des villes américaines adoptèrent des résolutions hostiles à la poursuite de l’engagement militaire américain. Lors des années 1980, la politique de réarmement nucléaire de l’administration Reagan suscita le lancement d’une campagne municipale centrée sur la proclamation de “ villes dénucléarisées ”.

Le combat contre l’apartheid en Afrique du Sud, envisagé comme une poursuite de la lutte pour les droits civiques aux États- Unis, amena également de nombreuses municipalités à majorité noire ou progressiste à mener leur propre politique étrangère. Contestant l’administration Reagan qui considérait le régime sud-africain comme un allié dans sa lutte contre le communisme, des dizaines d’autorités locales adoptèrent des résolutions demandant à la Maison Blanche et au Congrès de prendre des sanctions contre Pretoria.

À la même époque, les conflits armés d’Amérique centrale suscitèrent le Sanctuary Movement (mouvement du refuge), en opposition frontale à la politique américaine dans la région. Des organisations religieuses décidèrent d’offrir un refuge à des migrants centraméricains, fuyant les combats, la répression et la misère. À plusieurs reprises, elles bénéficièrent de la tolérance, voire de l’appui d’autorités communales. La ville de Berkeley, près de San Francisco, déclara la totalité de son territoire “ ville refuge pour les réfugiés d’Amérique centrale ”.

Ces dernières années, en dépit du contexte sécuritaire suscité par les attentats du 11 septembre 2001, un mouvement similaire s’est développé pour combattre les mesures adoptées par le gouvernement fédéral à l’encontre de l’immigration clandestine, principalement mexicaine. Une trentaine de villes, dont Washington, se sont déclarées “ villes-sanctuaires ” et refusent d’enquêter sur le statut des immigrés à l’intérieur de leurs limites urbaines.

Des villes ont également ferraillé avec le pouvoir fédéral à propos de la lutte contre le changement climatique. En 2005, plus de 1 000 municipalités ont adhéré au US Mayors Climate Protection Agreement, une initiative lancée par le maire de Seattle, Greg Nickels, en faveur de l’adoption, au niveau local, des engagements du Protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Lors de ces campagnes internationales, de nombreux conseils municipaux sont allés au-delà de la simple dénonciation. Ainsi, des villes ont poursuivi en justice des agences fédérales, notamment l’agence de crédit à l’exportation, pour protester contre leur financement de projets contribuant au réchauffement climatique. « Ces projets d’énergie fossile à l’étranger, » note Carl Schlyter, ont également des conséquences négatives aux États-Unis, car ils contribuent à l’effet de serre et sont dès lors considérés comme un problème local ». [2]

Les municipalités ont également pris des mesures concrètes, en retirant leurs placements financiers, notamment les fonds de pension des employés municipaux, des institutions bancaires liées à des régimes autoritaires. Elles ont aussi cherché à exclure des marchés publics locaux, par le biais de selective purchasing laws (lois d’achats sélectifs), les entreprises accusées de complicité de violation de droits humains.

Ce mouvement, lancé dans les années 1970 et 1980 à l’encontre du régime d’apartheid sud-africain, s’est étendu dans les années 1990 à la Birmanie. La crise du Darfour (Ouest du Soudan), déclenchée en mars 2003 par une rébellion de groupes marginalisés et suivie d’une brutale contre-insurrection qualifiée de “ génocidaire ” par le Congrès américain, a également suscité de nombreuses résolutions municipales de désinvestissement à l’encontre des entreprises traitant avec le Soudan.

Polémiques

Les initiatives des villes américaines ont fait l’objet d’intenses polémiques, certains à Washington s’agaçant de l’ “ aventurisme ” et de l’ “ amateurisme ” de ces politiques étrangères municipales et insistant sur la nécessité de respecter les prérogatives du pouvoir exécutif et du Congrès en matière de politique internationale.

« L’intérêt national exige de réduire l’ingérence locale dans les questions internationales et de défense, notait un analyste, si l’on ne veut pas que le gouvernement fédéral se retrouve entravé par des centaines de sous-secrétaires d’État suivant leurs propres agendas paroissiaux ». [3]

La réaction des autorités fédérales a parfois été brutale. Dans les années 1980, le ministère américain de la Justice inculpa des dizaines de citoyens américains, en particulier des religieux, impliqués dans le “ mouvement du sanctuaire ». Les activistes étaient accusés de « contrebande d’être humains », de « conspiration » et de « violation des lois fédérales d’immigration ». Ces poursuites donnèrent lieu à des procès retentissants, au cours desquels les personnes inculpées brandirent le droit international – la Convention des Nations unies sur les réfugiés – pour justifier leur action. Elles eurent le plus souvent gain de cause et leur combat, relayé par les médias et par des membres du Parti démocrate au Congrès, déboucha sur la régularisation de nombreux candidats réfugiés et sur l’octroi de visas humanitaires aux migrants d’Amérique centrale.

Les mesures adoptées dans le cadre des politiques d’investissements municipaux ou de marchés publics provoquèrent elles aussi une vive opposition. Des milieux économiques, mais aussi des citoyens estimèrent que les municipalités portaient atteinte aux intérêts financiers des administrés en “ politisant ” les marchés publics et le choix de placement des fonds municipaux.

Certaines de ces mesures municipales firent l’objet d’actions en justice. Elles furent également contestées auprès de l’Organisation mondiale du commerce, notamment par le Japon et la Commission européenne. Interpellée par le Conseil national du commerce international, la Cour suprême condamna en 2003 la loi sur les achats sélectifs adoptée par l’État du Massachusetts à propos de la Birmanie. Mais elle se garda d’enjoindre aux pouvoirs locaux de reconnaître en toutes circonstances le monopole exclusif du gouvernement fédéral et du Congrès dans le domaine de la politique étrangère.

En dépit de ces controverses juridiques, les partisans d’une action autonome des villes sur la scène internationale sont convaincus de l’efficacité de leurs actions. « Les selective purchasing laws, note Martha F. Davis, eurent sans conteste un impact majeur sur la politique nationale. Des dizaines d’entreprises se retirèrent de Birmanie, certaines en invoquant comme raison de leur décision les lois adoptées au niveau des villes et des États ». [4]

Démontrant de manière spectaculaire que ces mesures et mobilisations locales pouvaient influencer le niveau fédéral, le Congrès adopta en 2003 la Burmese Freedom and Democracy Act, qui imposait des sanctions à l’encontre de la Birmanie.

L’intérêt porté au rôle international des villes a conduit des associations américaines à se spécialiser dans l’élaboration de politiques étrangères alternatives au niveau municipal. Dans le cadre de son programme Cities for Peace, l’association Cities for Progress, parrainée par l’Institute for Policy Studies, prépare des résolutions clés sur porte très détaillées, qu’elle propose à des conseils communaux afin de les amener à contester des politiques gouvernementales.

En juillet 2010, elle a par exemple produit un projet de résolution municipale, intitulé Bring the money home (Ramenez l’argent à la maison), qui appuie le retrait des troupes américaines d’Irak et d’Afghanistan. Au cours de ces dix dernières années, de nombreuses villes américaines, parmi lesquelles Santa Barbara, Boston, Baltimore ou Chicago, ont adopté des résolutions de ce type, essentiellement pour réduire les engagements américains à l’extérieur et accroître les ressources destinées aux services sociaux, à la création d’emploi ou à l’éducation.

Et en Belgique ?

La question des compétences respectives attribuées aux différents niveaux de pouvoir (local, régional, communautaire, fédé- ral) détermine la légalité et dès lors très souvent l’opportunité d’initiatives municipales sur le terrain de la politique extérieure. Toutefois, cette répartition ne cadenasse pas le rôle des communes. Celles-ci, dans le cadre de leurs compétences, ont déjà adopté un certain nombre de prises de position et de programmes internationaux qui ont clairement une dimension “ droits de l’homme ”.

Ainsi, dans les années 1980, des communes menèrent une politique étrangère particulièrement efficace, dans le cadre de l’Opération Villages roumains lancée par l’association Causes communes pour barrer la route au plan de restructuration et de destruction du monde rural mis en place par le dictateur Nicolae Ceaucescu. Nombre d’entre elles “ adoptèrent ” unilatéralement et symboliquement des villages traditionnels menacés, une action qui contribua effectivement à saper la légitimité internationale du régime roumain.

Aujourd’hui, de nombreuses communes adhèrent à des réseaux européens ou internationaux et sont signataires de Chartes sur le droit à la Cité ou sur les droits de l’Homme dans la ville, qui réaffirment au niveau local les Déclarations et Pactes des droits de l’Homme ratifiés par l’État belge.

355 communes belges sur 589 sont membres de la campagne internationale Mayors for Peace, qui, suite à l’appel lancé par le maire de Hiroshima en 1982, plaide pour l’abolition totale des armes nucléaires. Deux villes belges, Bruxelles et Ypres, font partie du Comité exécutif de cette organisation qui compte 4 207 membres, répartis dans 144 pays.

Un certain nombre de communes belges ont également mis sur pied des Conseils consultatifs, des échevinats et des cellules de la Solidarité internationale, chargés d’organiser des activités d’information et de sensibilisation au niveau local et de soutenir des projets de coopération au développement dans des pays du Sud. (Voir à ce sujet le vade-mecum du CNCD, dans Pour en savoir plus). Elles peuvent bénéficier en cette matière de cofinancements fédéraux, régionaux et communautaires.

Elles contribuent de la sorte, non seulement à soutenir les droits économiques, sociaux et culturels dans les pays partenaires, mais aussi à promouvoir la participation citoyenne au sein de leur commune en appuyant les initiatives des associations locales. Lorsqu’elles coopèrent avec des associations de migrants dans le cadre de projets de développement dans les pays d’origine, elles promeuvent également la cohésion sociale et l’intégration.

Actualisation

380 communes belges font partie de Mayors for Peace. Ypres appartient aux Executive Cities, le « noyau dur » de l’association. L’arrivée à la présidence de Donald Trump en janvier 2017 a redonné une importance particulière à la « diplomatie des villes ». En juin 2017, 384 maires américains, représentant 68 millions de personnes, et regroupés dans le réseau baptisé USClimateMayors, ont signé un engagement en faveur du respect de l’accord de Paris sur le changement climatique.

Références

  1. “The Role of States and Cities in Foreign Relations ”, Richard BILDER, The American Journal of International Law, October 1989.
  2. Municipal Foreign Policy, Carl SCHLYTER, Editions du Groupe des Verts du Parlement européen.
  3. Cité dans “ The Role of States and Cities in Foreign Relations ”, Richard BILDER, op. cit.
  4. Bringing Human Rights Home, Martha F. DAVIS, University of Pennsylvania Press, Philadelphie, 2009, p. 266.