J.4 Comment mieux gérer le séjour des Gens du Voyage ?

De Les droits humains au coeur de la cité
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Introduction

Les Gens du Voyage seraient près de 20 000 en Belgique. « Contrairement aux premières impressions, les familles ne sont pas constamment sur les routes ou en déplacement permanent, mais le plus souvent en séjour temporaire ou prolongé dans différents lieux et, pour nombre d’entre eux, en habitat mobile arrêté sur un même lieu », précise le Centre de Médiation des Gens du Voyage. [1]

Dans nos sociétés normalisées, ce mode de vie n’est pas toujours bien accepté et ceux qui le pratiquent sont généralement perçus comme vivant en marge de la Cité.

Si certaines communes – très peu nombreuses – ont mis en place des dispositifs d’organisation du séjour temporaire salués par les Gens du Voyage, l’action des pouvoirs publics à leur égard est globalement entachée de nombreux manquements.

Cette situation a conduit la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme) à introduire en septembre 2010 un recours contre la Belgique devant le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe pour violation de la Charte sociale européenne, en particulier du droit au logement. Les problèmes relevés par la FIDH, mais aussi par d’autres associations, concernent :

L’inadaptation de la réglementation

La plupart du temps, les communes se réfèrent à des textes du règlement général de police relatifs à la circulation routière ou à la gestion de l’espace public, qui ne correspondent pas aux réalités des Gens du Voyage.

Le refus de permis d’urbanisme

Pour résider sur un terrain privé avec leur caravane, les Gens du Voyage doivent obtenir un permis d’urbanisme. Celui-ci leur est souvent refusé et doit être régulièrement renouvelé.

Le recours disproportionné aux expulsions

Les Gens du Voyage ne parvenant pas à trouver des terrains publics ou privés où séjourner en concertation avec les autorités locales sont fréquemment victimes d’expulsion. « Contrairement aux personnes habitant dans des logements classiques, note la FIDH, ils ne bénéficient d’aucune protection en cas d’expulsion : ils peuvent être expulsés sans préavis, à toute heure du jour et de la nuit, en toute saison ».

La non-reconnaissance de la caravane comme logement

Les codes du logement wallon et bruxellois ne reconnaissent pas la caravane comme un logement. Les personnes habitant en caravane ne peuvent dès lors se prévaloir du droit au logement reconnu dans la Constitution.

Les obstacles à la domiciliation

Certaines communes refusent les demandes de domiciliation des Gens du Voyage (inscription dans les registres de population à l’adresse de leur caravane ou en adresse de référence), en violation des dispositions de la législation belge. Ce refus a de lourdes conséquences pour les personnes qui en sont victimes : n’étant pas en règle sur le plan administratif, elles se voient interdire le bénéfice de nombreux droits, comme la formation professionnelle, l’aide à l’emploi ou l’exercice du droit de vote.

Le manque de terrains d’accueil, aménagés ou non.

En Région wallonne, il n’existe qu’un seul terrain public aménagé pour les séjours temporaires, à Bastogne. Et encore est-il loin d’être idéal ! Pourtant, la Région octroie aux communes des subventions pour la création de terrains destinées aux Gens du Voyage.[2] Mais le besoin premier des Gens du Voyage, c’est un endroit où s’installer, qu’il soit ou non aménagé : « Les Gens du Voyage rencontrent d’extrêmes difficultés à trouver des terrains où il leur soit simplement permis de résider ou de séjourner », sans risquer à tout moment l’expulsion, précise le texte de la FIDH. Ils doivent dès lors constamment négocier, au cas par cas, des autorisations de séjour, d’une durée limitée, avec les autorités communales.

La question de l’aménagement du terrain (équipement et commodités) ne vient qu’ensuite dans l’ordre des priorités et ne doit pas constituer un frein à l’autorisation de séjourner dans la commune.

Propositions

Comment mieux prendre en considération les Gens du Voyage ? Quelles seraient les pratiques positives, au service d’une bonne gestion de leur séjour ? Nous avons posé la question à M. Ahmed Ahkim, directeur du Centre de Médiation des Gens du Voyage en Wallonie.[3]

« On focalise quasi toujours sur l’aménagement de terrains d’accueil. Mais ce n’est pas notre première demande ! En matière de séjour temporaire, nous plaidons pour l’obligation des communes d’organiser le séjour des Gens du Voyage, plutôt que pour l’obligation d’aménager un terrain d’accueil.

Regardez les scouts : chaque année, ils mettent sur pied des camps pendant les vacances d’été. Leur accueil est prévu, les questions d’approvisionnement en eau et d’évacuation des déchets sont discutées et organisées, le temps de leur séjour. Mais ils ne demandent pas qu’on leur aménage un terrain pour autant!

Avec les Gens du Voyage, c’est un peu la même chose : la priorité pour eux, c’est de disposer d’un espace où ils puissent séjourner, pendant quelques semaines ou quelques mois, en toute légalité, sans la peur constante d’être expulsés.

Autre élément capital : avoir un interlocuteur au sein de l’administration, une personne de contact, informée et formée, disposant d’un mandat clair du Collège communal, à qui ils puissent s’adresser. »

Cette personne serait chargée de gérer le séjour temporaire, de manière souple et adaptée. Son rôle ?

1. Rencontrer le groupe ;

2. Négocier la durée du séjour et le nombre maximum de caravanes ;

3. Préciser les modalités (gestion des déchets...) ;

4. Prévoir un accès à l’eau et à l’électricité ;

5. Informer les riverains des dispositions prises par la ville.

« Ce système, où l’on mise davantage sur l’organisation humaine au sein de l’administration, en bonne intelligence avec les familles concernées, demande très peu de moyens, souligne M. Ahkim, bien moins que d’aménager un terrain, et il présente une efficacité optimale. On arriverait à résoudre 70 à 80% des problèmes si cette disposition était généralisée de manière contraignante pour les communes. Car, qu’est-ce qui pose problème ? C’est l’incertitude, de part et d’autre.

Les familles de Gens du voyage sont souvent renvoyées d’une commune à l’autre comme des balles de ping-pong. Elles devraient avoir la garantie de pouvoir séjourner sur le territoire de chaque commune. Avec éventuellement des conditions : nombre de jours autorisés, nombre maximum de caravanes, etc. De l’autre côté, les habitants s’inquiètent de ce brusque voisinage. Cela crée des angoisses, donc de l’agressivité de part et d’autre. Si le séjour est organisé en bonne concertation avec les autorités communales, qui prennent la peine d’en informer les riverains, la pression disparaît comme par enchantement. Il est intéressant de noter que les autorités des communes qui ont accueilli les Gens du Voyage n’ont pas été désavouées ni sanctionnées électoralement par les habitants. Au contraire. Cette politique d’accueil franche, ouverte, aplanit les difficultés. »

Par ailleurs, comme pour toute famille, l’accès à l’eau et à l’électricité est un réel besoin : fournir cet accès aux Gens du Voyage, « c’est améliorer leurs conditions de vie, précise le Centre de médiation des Gens du Voyage. Mais c’est aussi prévenir des tensions éventuelles entre eux et les riverains : en l’absence de raccordement électrique, les familles utilisent des groupes électrogènes, ce qui génère beaucoup de bruit et donc des nuisances pour les voisins. Et en l’absence d’accès à l’eau, les familles vont demander aux riverains la possibilité de remplir des bidons d’eau chez eux. » [4]

Lorsqu’une commune ne dispose pas de terrain aménagé, le Centre lui conseille de prévoir un lieu provisoire, qui permettra à l’autorité municipale d’organiser le séjour d’un groupe.

Ce terrain peut être une pâture, un terrain de sport inoccupé, un terrain en friche, etc. L’essentiel est de penser à la qualité de vie des GDV en le choisissant : qu’il ne soit ni dangereux pour les enfants, ni trop bruyant (coincé entre autoroute et chemin de fer, par exemple), et que sa surface soit suffisante pour que chaque famille ait un espace privatif suffisant (il faut compter une surface minimale de 200 m2 par ménage), précise le Guide pratique, qui porte décidément fort bien son nom.

« À long terme, conclut le Centre de Médiation, il est important de réfléchir à la gestion du séjour temporaire des Gens du Voyage sur le territoire communal et à l’aménagement d’un terrain. Prévoir et organiser leur séjour permettra aux communes de ne plus être prises au dépourvu à l’arrivée de groupes sur leur territoire. » [5]

Y a-t-il une commune particulièrement accueillante, qui puisse faire figure de modèle, avons-nous demandé à M. Ahmed Ahkim ?

« La ville de Namur doit être saluée. Environ 500 caravanes y séjournent chaque année pendant plusieurs semaines, c’est vous dire l’ampleur de son accueil ! Ce qui est remarquable, c’est la très forte implication de l’autorité politique, de l’administration. La gestion est effectuée par les services communaux, avec une claire répartition des rôles et est en quelque sorte instituée, puisque depuis une dizaine d’années, cette même politique se poursuit, malgré un changement de majorité à la ville de Namur.

À Mons, cette gestion est beaucoup plus récente, mais la majorité assume. À Ottignies, il y a moins de Voyageurs accueillis, mais la commune poursuit cette politique volontariste depuis 2002-2003.

Ce qui est intéressant, c’est l’implication de l’associatif, que ce soit le Relais-Picardie Laïque à Mons, le CIEP à Verviers ou le Miroir Vagabond dans les communes de Durbuy, Hotton, Rendeux et La Roche. Certaines de ces associations sont chargées par les communes de l’accueil des Gens du Voyage, d’autres mènent simplement des actions d’appui à ces derniers et de sensibilisation du grand public (conférences, concerts, expositions de photos ou projections de films).

Même si certains responsables communaux : bourgmestres, agents de police et fonctionnaires de services sociaux cherchent ponctuellement des solutions créatives et efficaces, il y a trop peu de communes qui ont mis en place une vraie politique de gestion systématique de cette réalité. Dès lors, la pression est forte sur ces quelques communes. Ce serait beaucoup plus gérable si c’était mieux réparti. D’où notre double plaidoyer : pour un cadre législatif contraignant, obligeant les communes à gérer le séjour des Gens du Voyage et pour que ceux-ci soient enfin considérés comme des citoyens à part entière. », conclut M. Ahmed Ahkim.

Actualisation, sources & pour en savoir plus

  • Séjour temporaire des gens du voyage. Guide des bonnes pratiques, Service public de Wallonie, Direction interdépartementale de la Cohésion sociale (DiCS) et Centre de Médiation des Gens du Voyage et des Roms en Wallonie, 2014, 26 pages. Véritable mine d’or, ce guide offre des informations très concrètes sur le mode de gestion communal de l’accueil, sur l’aménagement des terrains (accès à l’eau et à l’électricité, collecte des déchets, etc.) et sur les subventions de la Région wallonne aux communes pour l’installation d’un terrain d’accueil pour les gens du voyage.
  • La mobilité, un mode de vie. Guide juridique Cette brochure de 60 pages clarifie les droits des Gens du Voyage et précise les principales dispositions juridiques les concernant : statut du logement en caravane, accès aux droits sociaux, domiciliation, conditions d’exercice d’une activité économique etc. Il a été réalisé par le Centre de médiation des Gens du Voyage en Wallonie. Toutefois, il date de 2003. Pour des informations plus récentes, contacter l’ASBL.
  • Une brochure informative Les gens du voyage en Wallonie décrit en 40 pages l’origine des Gens du Voyage, leur histoire, leur culture, leur mode de vie et l’histoire de leur présence en Belgique. Elle aborde également des données pratiques concernant l’accueil des communes et fournit des informations pratiques sur les législations belges, européennes et internationales ainsi que des adresses de contacts des institutions et associations impliquées dans les politiques relatives aux Gens du Voyage. Cette brochure, rédigée par Alain REYNIERS, Ahmed AHKIM et Philippe CULOT et illustrée de photos de Dominique PAQUES, résulte d’une collaboration entre le Centre des Médiation des Gens du Voyage de Wallonie, le cabinet du Ministre des Affaires sociales et de la Santé de la Région wallonne et le Centre d’action interculturelle de la Province de Namur.
  • Des rapports d’Amnesty International • Laissés pour compte. Violations des droits fondamentaux des Roms en Europe, Amnesty International, 2010, 32 pages.

The Roma in Europe : all you always wanted to know but were afraid to ask, avril 2015.

Page spéciale du site d’AIBF sur les discriminations contre les Roms

• Le site du Conseil de l’Europe sur les Roms et les gens du voyage.

• Le site de la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les Gens du voyage

Le site du Gouvernement français, qui offre notamment une évaluation des dispositifs d’accueil des Gens du Voyage dans l’Hexagone.

EU and Roma : le site de la Commission européenne sur la politique de l’Union à l’égard des Roms.

Exemples de bonnes pratiques

La ville de Troyes

La Communauté de l’agglomération troyenne (C.A.T.) s’est voulue exemplaire en matière d’accueil des gens du voyage et de mise en œuvre de la législation française les concernant : http://www.grand-troyes.fr/fr/vivre/les-solidarites/les-gens-du-voyage/index.html

Voir aussi à ce sujet la fiche Amnesty : L’accueil des Gens du Voyage Exemple de la Communauté d’agglomération de Troyes (France).

La scolarisation des enfants tsiganes : formation des enseignants et recherche. Rédigé par Virginie REPAIRE, du Centre de recherches tsiganes de l’Université Paris 5, ce texte de 39 pages décrit des bonnes pratiques en matière de scolarisation des enfants des Gens du Voyage et surtout de formation des enseignants. Il s’agit de la synthèse d’un séminaire qui s’est tenu à Dijon du 5 au 7 décembre 2002, avec l’appui du Conseil de l’Europe.

http ://www.coe.int/t/dg4/education/roma/Source/Dijon2002_FR.pdf

Associations et personnes de contact

Centre de Médiation des Gens du Voyage et des Roms en Wallonie

Monsieur Ahmed Ahkim, directeur

Rue Borgnet, 12

5000 Namur

Tél. : 081 24 18 14

GSM : 0473 91 95 63

Courriel : gensduvoyage@skynet.be Site web : www.mediation4roma.be

Service public de Wallonie,

Direction interdépartementale de la Cohésion sociale (DiCS)

Place Joséphine-Charlotte, 2

5100 Jambes

Tél. : 081 32 13 45

Fax : 081 32 16 06

Courriel : dics@spw

European Roma Information Office (ERIO) :

une ONG internationale qui défend les droits des Roms au niveau de l’Union européenne.

Le miroir vagabond

Vieille route de Marenne, 2

6990 Bourdon

Tél. : 084 31 19 46

Courriel : bureau@miroirvagabond.be

Références

  1. In le Guide pratique pour la gestion du séjour temporaire des Gens du Voyage en Wallonie, Centre de médiation des Gens du Voyage en Wallonie (CMGVW) et Direction interdépartementale de la cohésion sociale du service public de Wallonie (DICS), 2009, p. 3. Il existe un guide plus récent, voir ci-dessous.
  2. Toutes les précisions à ce sujet peuvent être trouvées à la page 23 du Séjour temporaire des gens du voyage. Guide des bonnes pratiques.
  3. Interviewé par téléphone par Anne-Marie Impe, le 21 octobre 2010
  4. Guide pratique pour la gestion temporaire des gens du voyage en Wallonie, op. cit., p. 14. (5) Op. cit., p. 17.
  5. Op. cit., p. 17.