G.5 Le maire de New York défend la liberté de religion

De Les droits humains au coeur de la cité
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Les communes sont directement impliquées dans la mise en œuvre effective de la liberté de conscience et de religion. Elles statuent sur la construction ou l’extension de lieux du culte, encadrent la célébration de fêtes confessionnelles (Aïd el kebir, processions, etc.), prévoient des espaces religieux spécifiques dans les cimetières et, dans certains cas, réglementent le port de “ signes religieux ostentatoires ” dans les écoles et les institutions communales.

Ces dernières années, dans de nombreux pays, l’essor de l’islam a confronté les autorités communales à de nouvelles réalités et demandes. « D’un côté, il y a la montée du radicalisme qui veut imposer la primauté du droit religieux sur la laïcité ; de l’autre, l’arrivée à maturité d’une génération de jeunes pratiquants musulmans de culture française, note l’anthropologue française Dounia Bouzar. Les élus, comme toute personne appelée à faire respecter le principe de laïcité, sont empêtrés dans la subjectivité, par manque de repères, et dans la peur. Plus précisément, ils sont pris entre deux peurs : qu’en accédant à une demande, ils n’ouvrent la boîte de Pandore, et, qu’en refusant une demande, ils ne soient taxés de racisme ».[1]

En Belgique, de nombreuses communes ont pris des mesures visant à respecter les droits fondamentaux de leurs habitants de confession musulmane[2]. Ce texte montre l’évolution dans les politiques d’accueil communales, de l’hostilité à la concertation, mais les dilemmes sont omniprésents : comment organiser, par exemple, les activités et les repas dans les centres sportifs communaux lorsque les vacances se déroulent en période de Ramadan ?

Faut-il, au nom des “ accommodements raisonnables ”, prévoir des cours de natation réservés aux femmes ?

Les débats juridiques sont tout aussi complexes. Est-il légal par exemple, d’interdire par un simple règlement de police le port du voile intégral dans l’espace public ?

Face aux pressions exercées par des groupes d’habitants afin, par exemple, d’interdire la construction d’une mosquée dans leur quartier, il est tentant de recourir à des artifices ou à des règlementations administratives ou techniques, comme le code d’urbanisme, pour éluder les enjeux juridiques et politiques du respect de droits humains fondamentaux. Au risque de violer la Constitution, la Convention européenne des droits de l’Homme et la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Celle-ci affirme, en effet, « le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion et la liberté de manifester sa religion (...) par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites » (Article 18). Elle établit également que toute personne a droit « sans distinction à une égale protection de la loi et à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration » (Article 7).

L’interprétation de ces textes est cependant l’objet de désaccords et des juristes, au nom par exemple de la laïcité ou de la neutralité de l’Etat, en contestent le caractère absolu. Une « mosquée à Ground Zero »

La question de la compatibilité de mesures municipales avec la constitution et de le droit international a été au cœur de la polémique qui a embrasé New York durant l’été 2010. Confrontés aux protestations d’une majorité des habitants de la ville à l’encontre d’un projet de “ construction d’une mosquée à Ground Zero ”, là où s’élevaient, jusqu’aux tragiques attentats du 11 septembre 2001, les deux tours jumelles du World Trade Center, le maire et le Conseil municipal ont fondé leur décision sur un respect strict des Textes fondamentaux et sur le rejet de toute discrimination à l’encontre d’une religion spécifique.

En fait, le projet incriminé, baptisé Park 51 ou Cordoba House par ses promoteurs, n’était pas à proprement parler une mosquée, mais bien un centre culturel islamique de 13 étages doté, entre autres, d’une salle de prières, et ce centre n’était pas situé à Ground Zero, mais à deux « blocs » du lieu des attentats.

De surcroît, contrairement aux assertions des adversaires les plus résolus de la “ mosquée ”, Feisal Abdul Rauf, l’imam à l’origine du projet, n’était pas un “ extrémiste proche d’Al-Qaida ”, mais un représentant de l’islam modéré et un interlocuteur régulier des autorités américaines.

La controverse sur le centre islamique du sud de Manhattan a eu un caractère inédit, car la liberté de conscience et de religion est l’un des fondements de la Constitution américaine. Le Premier amendement de ce texte emblématique du modèle démocratique américain consacre également avec une grande solennité la liberté d’expression. Or, ces libertés étaient clairement remises en cause par les protestations des adversaires de la “ mosquée de Ground Zero ”.

En effet, en dépit de ces principes constitutionnels et en rupture par rapport à une longue tradition “ libérale ” new-yorkaise favorable à la liberté religieuse, une majorité d’habitants déclarèrent leur hostilité à la création de ce centre culturel islamique. Selon des sondages, seul un quart des New Yorkais approuvait le projet.

Face à la voix de la rue, face aussi au tir de barrage médiatique de la droite nationaliste et islamophobe et en particulier de la chaîne de télévision Fox News, de nombreux politiciens se rangèrent prudemment dans le camp de la majorité des New Yorkais ; d’autres, comme Barack Obama, tentèrent d’abord d’esquiver la polémique, avant de finalement rappeler les exigences du droit américain.

Le maire de New York, le milliardaire Michael Bloomberg, une personnalité indépendante issue du Parti républicain, a démontré à cette occasion que les droits humains n’étaient pas de la plasticine et que le patron d’une ville pouvait assumer un rôle emblématique en faveur du respect des libertés fondamentales.

Le 3 août, à Governors Island, là où, au 16e siècle, débarquèrent les premiers colons, Michael Bloomberg, entouré de représentants religieux, dont ceux de sa propre communauté juive, prononça un discours à contre-courant de l’état de l’opinion citadine, pour réaffirmer avec fermeté les principes de la liberté religieuse.

« Être New Yorkais implique de vivre avec ses voisins dans le respect mutuel et la tolérance. C’est cet esprit d’ouverture et d’acceptation de l’autre qui a été attaqué le 11 septembre ».

« N’oublions pas qu’il y avait des musulmans parmi les personnes qui furent assassinées ce jour-là et nos voisins musulmans ont exprimé leur douleur avec nous, en tant que New Yorkais et en temps d’Américains. Nous trahirions nos valeurs et ferions le jeu de nos ennemis si nous traitions les musulmans différemment des autres personnes. En fait, céder aux sentiments populaires reviendrait à livrer la victoire aux terroristes ». « Les musulmans font autant partie de notre pays que les personnes d’une autre foi. Et ils sont les bienvenus, comme tout autre groupe religieux, s’ils veulent pratiquer leur culte dans cette partie de Manhattan. »

Bien qu’il ait pris l’opinion à rebrousse-poil, Michael Bloomberg ne semble pas à ce jour pâtir de son audace. Il fait même figure de candidat très sérieux à la présidence des Etats-Unis en 2012. Le New York Times, le journal de référence de la ville et du pays, a lui aussi choisi de soutenir, contre l’avis majoritaire du public, le droit d’installer ce centre culturel islamique. Et il ne semble pas non plus qu’il ait perdu des lecteurs...

Actualisation

Michael Bloomberg a quitté la mairie de New York le 31 décembre 2013. Malgré des comités de soutien actifs, il ne s’est pas présenté dans la course à la présidence en 2012. En 2016, non plus d’ailleurs, alors que l’Establishment républicain et, en partie, l’Establishment démocrate se voyaient piégés entre Donald Trump et Hillary Clinton. Le projet de Centre culturel islamique a été abandonné. Un immeuble de luxe de 43 étages devrait ouvrir sur ces lieux en 2019.

Sources & pour en savoir plus

Références

  1. « Face aux revendications religieuses, les élus sont empêtrés dans la peur et la subjectivité », S. LE GALL,
  2. Lire à ce sujet « Accueil et institutionnalisation de l’islam au niveau municipal : le cas de la communauté turque de Schaerbeek », Ural MANÇO, in Reconnaissance de l’islam dans les communes d’Europe, Altay MANÇO et Spyros AMORANITIS (Coord.), IRFAM/L’Harmattan, Paris, 2005.