C.2 Les marches exploratoires des femmes pour la sécurité. L’exemple du Canada

De Les droits humains au coeur de la cité
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Si l’on veut que les femmes puissent pleinement prendre part à la vie de la Cité, il faut accroître leur sentiment de sécurité. En effet, de nombreuses femmes « observent une forme de couvre-feu et restreignent leurs activités si elles ne sont pas accompagnées.

Ainsi, le sentiment d’insécurité face aux agressions les conduit à restreindre leurs objectifs personnels et leur participation à la vie collective », notent les auteures du Guide d’aménagement. Pour un environnement urbain sécuritaire.[1] Mais il ne suffit pas de travailler sur le sentiment de sécurité, il faut aussi améliorer la sécurité réelle. Et dans ce domaine, les pouvoirs locaux disposent de nombreux leviers pour agir que ce soit en matière d’aménagement urbain, de présence et d’actions policières, ou de mobilisation citoyenne.

Historique

Depuis plus de vingt ans, le Canada a développé une démarche originale pour améliorer concrètement la sécurité dans les villes, en se basant sur l’expertise des femmes et la participation citoyenne. « En effet, les femmes sont des expertes “naturelles” de la sécurité parce qu’elles sont plus à l’affût des éléments porteurs d’insécurité dans les endroits publics ». Confrontées à plusieurs formes de violence, elles doivent se protéger elles-mêmes, mais aussi protéger leurs enfants. « Puisque ce sont les femmes qui sont les plus touchées par l’insécurité, les correctifs qu’elles suggèrent d’apporter et les solutions qu’elles préconisent profitent dès lors aux autres groupes vulnérables face à la peur du crime (enfants, personnes âgées et handicapées) et à l’ensemble de la population. C’est la raison pour laquelle nous disons qu’une ville sécuritaire pour les femmes est une ville sécuritaire pour tout le monde. »[2]

Si la ville de Toronto a montré la voie, dès la fin des années 1980, c’est à Montréal que cette méthode a été la mieux appliquée. Mais de quoi s’agit-il ?

Les marches exploratoires

S’inspirant du Safety Audit de Toronto, le programme Femmes et ville de Montréal a conçu un Guide d’enquête sur la sécurité des femmes en ville[3] Grâce à cet outil d’analyse, qui contient un questionnaire facilitateur, des petits groupes de citoyennes vont parcourir à pied un secteur de la ville qu’elles ressentent comme insécurisant et repérer les lieux potentiellement dangereux. Elles sont accompagnées d’une ou plusieurs animatrices et éventuellement d’hommes, invités à titre d’observateurs afin de les sensibiliser aux perceptions des femmes en matière de sécurité.

Le groupe va ensuite réfléchir aux actions à mener pour rendre les lieux visités plus sûrs et aux personnes à impliquer pour y parvenir : voisins, commerçants, institutions publiques et propriétaires privés.

Enfin, il communiquera aux personnes et autorités concernées les observations et les recommandations d’aménagements à opérer. C’est ce qu’on appelle les “marches exploratoires” ou encore le “diagnostic marchant”.

Les six principes de base d’un environnement sécurisé

Le Guide d’enquête de Montréal (réactualisé en 2002) présente les six principes de base pour réaliser un environnement urbain plus sûr.[4]

Il précise pour chacun d’entre eux les observations à effectuer lors des marches exploratoires, notamment pour débusquer les facteurs propices aux agressions. C’est donc un outil précieux, qui fournit une grille d’analyse et d’évaluation sur laquelle se baser pour établir un diagnostic.

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Points forts et points faibles de la démarche

Un des intérêts majeurs de la démarche est qu’elle participe à l’ “empowerment” (autonomisation) des femmes : « En plus d’améliorer la sécurité des citoyennes et des citoyens, les marches exploratoires visent à développer chez les participantes un sentiment d’appropriation et de contrôle de leur environnement. Cette démarche citoyenne engagée dans une optique d’amélioration de la sécurité locale et de la qualité de vie augmente également la présence des femmes dans la vie publique. Les changements concrets apportés à l’environnement urbain suite aux recommandations de la marche exploratoire amènent les participantes à se percevoir en tant qu’actrices sociales efficaces. En ce sens, les marches exploratoires contribuent au renforcement des capacités et au développement de l’autonomie des femmes, tout en favorisant l’exercice de leur citoyenneté. » [5]

Si cette méthode a connu un large succès, plusieurs études ont cependant mis en avant ses limites – voire ses dangers – si certaines précautions ne sont pas respectées (voir sous “pour en savoir plus” ).

Lors de la réflexion sur les améliorations à apporter, il faut par exemple s’assurer que les idées énoncées soient non seulement créatives, mais aussi réalistes, applicables. Ensuite, il faut veiller à ce qu’elles soient réellement appliquées.

Le suivi est capital. Si les autorités municipales ne sont pas en mesure de réaliser les aménagements souhaités, d’appliquer ou faire appliquer tout ou partie des solutions envisagées, il vaut mieux ne pas lancer de diagnostic marchant. Celui-ci demande en effet du temps et un investissement personnel important de la part des femmes ; si au terme de la démarche, elles restent avec le sentiment que “ça ne sert à rien”, qu’aucune des mesures proposées n’a été appliquée, la frustration pourra être vive. Il est dès lors souhaitable que les femmes participent aussi au suivi et à la mise en place des correctifs proposés.

Une (dé)marche mondialisée

À Montréal, des centaines de marches ont été organisées depuis le début des années 1990. Après avoir fait tache d’huile dans d’autres villes du Canada, l’expérience a traversé l’Atlantique. Aujourd’hui, de nombreuses municipalités à travers le monde ont adopté cette méthode.

En Belgique, Liège s’est lancée dans l’aventure, à l’initiative de la Commission consultative Femmes et ville instituée par le bourgmestre. En 2004-2005, une vingtaine de marches y ont été organisées dans 8 quartiers, retenus comme prioritaires.

« L’organisation des marches a été précédée d’une période de préparation incluant la formation des animatrices, la mise au point d’un questionnaire de visite, des rencontres avec les femmes des différents quartiers, la mise en place des groupes, le choix des sites et itinéraires, explique René Begon, chargé de projet au CVFE (Collectif contre les violences familiales et l’exclusion). Les consignes d’observation proposées aux participantes concernaient le sentiment d’insécurité et les besoins spécifiques en matière de mobilité (possibilité de circuler avec une poussette par exemple). »[6]

Parmi les propositions d’améliorations émises par les femmes figuraient entre autre le débroussaillage des chemins d’un parc ; l’amélioration de l’éclairage public ; la suppression d’un chancre urbain ; la réparation du mobilier urbain ; le nettoyage des trottoirs et l’interdiction du stationnement anarchique ; la création d’espaces de convivialité, etc.

La commission Femmes et ville a alors proposé au Collège échevinal de réaliser deux actions prioritaires pour chacun des quartiers.

L’expérience pilote de Liège ayant suscité un vif intérêt, d’autres villes et communes belges ont à leur tour organisé des marches exploratoires. Parmi elles : Anvers, Charleroi, Gand, Mons, Molenbeek et Saint-Gilles, dont la démarche a été étudiée par le Centre de recherches urbaines de l’Université libre de Bruxelles (voir Sources & pour en savoir plus).

Si les marches exploratoires ont été pensées principalement par et pour les femmes, elles peuvent être menées avec d’autres groupes : personnes âgées, enfants et jeunes ados’…

Certaines municipalités les ont également retenues pour trouver des solutions à d’autres problèmes que ceux liés à la sécurité, par exemple pour déterminer quels aménagements opérer pour faciliter les déplacements des personnes en situation de handicap et leur offrir un meilleur accès aux divers bâtiments.

Sources, pour en savoir plus et contacts
  • Guide d’aménagement. Pour un environnement urbain sécuritaire, Programme Femmes et ville, Service du développement social et communautaire, Montréal, 2002, 163 pages. Une référence incontournable pour tous ceux qui veulent organiser une marche exploratoire.
  • Guide de réalisation d’une marche exploratoire. Ville de Lévis (Québec). Carnet d’enquête, Direction des communications et Commission consultative Femmes et Ville, 2007, 28 pages. Si l’on souhaite organiser un diagnostic marchant et qu’on est rebuté par les 163 pages du guide de Montréal, cette courte brochure fournit un excellent digest des renseignements nécessaires. Le guide s’inspire très largement de la démarche de Montréal et précise étape par étape comment organiser une marche, de la préparation à la mise en œuvre des solutions. Il propose aussi une sorte de « checking list » reprenant les principaux points à explorer. Parmi ceux-ci : l’éclairage est-il adéquat ? Y a-t-il des endroits où quelqu’un pourrait se cacher et vous surprendre ? etc.
  • Ensemble pour la sécurité des femmes. Créer des communautés plus sécuritaires pour les femmes marginalisées et pour toute la communauté, Kathryn TRAVERS et Karine CHAYER, Femmes et villes International, Montréal, 2010, 62 pages. Cette publication présente, de manière très concrète et humaine, le récit de différentes marches menées avec des groupes de femmes autochtones, immigrantes, handicapées, âgées, etc. dans plusieurs villes du Canada.
  • Elaboration d’une méthodologie pour la mise en place et le suivi de marches exploratoires dans 6 villes belges, Véronique CLETTE, Amélie DAEMS, Andy VANDEVYVERE du Centre de Recherche Urbaine (Université Libre de Bruxelles), 2005-2006. Recherche-action commanditée par le Ministère de la Fonction publique, de l’Intégration sociale, de la Politique des Grandes Villes et de l’Egalité des Chances. Texte plus académique que les guides canadiens.
  • Recherche-Action concernant la mise en place et le suivi de marches exploratoires.Rapport final de la recherche-action concernant la mise en place et le suivi de marches exploratoires dans 6 villes /communes belges [NDLR : mentionnée ci-dessus], Décembre 2006. Publié par le Service Public de Programmation, Intégration Sociale, Lutte contre la pauvreté et Economie sociale. Centre de recherche urbaine, Institut de sociologie, ULB.
  • Agir ensemble sur le sentiment d’insécurité. Manuel pratique pour les acteurs locaux, Forum belge pour la prévention et la sécurité urbaines (FBPSU) et Fondation Roi Baudouin, 2009. Ce document existe en deux versions : une version papier concise (39 pages), également disponible sur Internet, rédigée par Véronique KETELAER et Laetitia NOLET, avec l’appui d’un conseil de rédaction composé de Patrick BODART, Christine SCHAUT, Thierry HENDRICKX, Françoise GAUDER et Léo EESTERMANS. Et une version web complète de 89 pages. Les pages 66 à 68 de cette seconde version sont consacrées au “Diagnostic marchant”. À découvrir sur : www.urbansecurity.be/IMG/pdf/manuel_web_comite_redac.pdf
  • Violence Evidence. Promoting Gender Equality to Prevent Violence Against Women, Genève, 2009, 16 pages. Une note expliquant le lien entre la promotion de l’égalité de genre et la réduction des violences contre les femmes.
  • Marches exploratoires, l’exemple de Liège, René Begon
  • Guide méthodologique des marches exploratoires. Des femmes s’engagent pour la sécurité de leur quartier, cahiers pratiques, hors-série, Les Editions du CIV (Comité Interministériel des Villes), décembre 2012. Ce guide contient une fiche de synthèse, très concrète, pour l’organisation d’une marche exploratoire, avec conseils pour la prise de notes (observations à mener, renseignements utiles à mentionner…)
  • Espace public, genre et sentiment d’insécurité, Laura Chaumont et Irène Zeilinger, Garance ASBL, 2012, 21 pages.

Actualisation

Guide méthodologique des marches exploratoires. Des femmes s’engagent pour la sécurité de leur quartier. Cahiers pratiques ; hors-série, Les Editions du CIV (Comité Interministériel des Villes), décembre 2012. Contient une fiche de synthèse, très concrète, pour l’organisation d’une marche exploratoire, avec conseils pour la prise de notes (observations à mener, renseignements utiles…)

Espace public, genre et sentiment d’insécurité, Laura Chaumont et Irène Zeilinger, Garance ASBL, 2012, 21 pages

La Convention d’Istanbul

La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, aussi appelée Convention d’Istanbul, a été ouverte à signature le 11/5/2011 et est entré en vigueur le 1/8/2014.

Elle « ouvre la voie à la création d’un cadre juridique au niveau pan-européen pour protéger les femmes contre toutes les formes de violences. » Afin d’assurer la mise en œuvre des dispositions qu’elle contient, la convention a été dotée d’un mécanisme de suivi (le GREVIO).

Elle n’implique toutefois qu’indirectement les pouvoirs locaux, mais mentionne de manière explicite, en son article 9, le soutien que les Etats doivent apporter aux associations citoyennes qui luttent contre la violence faite aux femmes : « Les Parties reconnaissent, encouragent et soutiennent, à tous les niveaux, le travail des organisations non gouvernementales pertinentes et de la société civile qui sont actives dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes et établissent une coopération effective avec ces organisations. »

Cette convention a été signée par la Belgique en 2012 et ratifiée en 2016.

Femmes et villes international

Cette organisation se décrit comme un lieu d’échange sur la place des femmes dans les villes et sur les enjeux reliés à l’égalité des sexes. Elle s’appuie sur les principaux intervenants impliqués dans cette thématique (groupes de femmes, ONG, municipalités, chercheurs, secteur privé, médias, instances internationales, etc.).

L’association organise entre autres « des activités de partage d’expertise, de formation, de promotion des bonnes pratiques, ainsi que des séminaires et conférences internationales », comme celle qui s’est tenue en novembre 2010 à Jagori (Inde) sur la sécurité des femmes. Elle a notamment été à l’origine de la Déclaration de Montréal sur la sécurité des femmes (2004).

Contact

Femmes et villes international

465, Rue Saint-Jean, bureau 803 Montréal (Québec)

Canada, H2Y2R6

Téléphone : 00 1 514.861.6123

Courriel : info@femmesetvilles.org

Alliance pour la prévention de la violence/Violence Prevention Alliance

Ce réseau parrainé par l’Organisation mondiale de la santé regroupe les Etats membres de l’OMS, des agences internationales et des associations de la société civile, comme l’ASBL belge Garance, engagées dans des programmes de prévention de la violence, en particulier à l’encontre des femmes.

Pour en savoir plus

Le site de l’Alliance (uniquement en anglais) : http://www.who.int/violenceprevention/en/

Garance ASBL

Garance est une ASBL qui agit pour prévenir les violences basées sur le genre. Elle anime notamment des formations à l’autodéfense, questionne les rapports de domination et propose une analyse critique des conditions sociales et politiques qui mènent à la violence.

Garance ASBL

Boulevard du Jubilé 155 — 1080 Bruxelles —

Tél. : 02 216 61 16 — info@garance.be

Références

  1. Programme Femmes et ville, Service du développement social et communautaire, Montréal, 2002, p. 15.
  2. Guide d’aménagement. Pour un environnement urbain sécuritaire, op. cit., pp. 15 et 16.
  3. Guide d’enquête sur la sécurité des femmes en ville. Pour la sécurité des Montréalaises, Ville de Montréal, 1993, 46 pages.
  4. Guide d’aménagement, op. cit. p 29.
  5. Les marches exploratoires, Femmes et villes international, 2002
  6. Marches exploratoires, l’exemple de Liège, p. 2.